Pierre Loiseau, directeur de l’Entreprise Apprenante en Agriculture de Seine-et-Marne (EAA 77) le Prest’HA’Terre, a pour ambition de faire monter en compétences ses salariés porteurs de handicap tout en faisant de son entreprise une structure favorable à la santé. Objectif atteint avec Andréa qui est devenue son bras droit.
Pouvez-vous nous présenter le Prest’HA’Terre ?
Nous avons créé en 2013 une entreprise apprenante en agriculture (EAA), un concept très innovant né en Alsace il y a plus de 25 ans, dont l’objectif est de répondre à une double problématique : la pénurie de main-d’œuvre dans les exploitations agricoles et l’emploi des personnes en situation de handicap confrontées à un taux de chômage deux fois plus élevé que les personnes valides. L’EAA fait se rencontrer ces deux besoins en proposant aux entreprises des prestations de services de qualité, effectuées par des personnes reconnues travailleurs handicapés.
Le Prest’HA’Terre a recruté ses premiers salariés en 2014. Nous avons au départ travaillé avec des grandes exploitations productrices de légumes, principalement pour l’entretien et les récoltes. Puis, très vite, grâce à une importante société de paysage qui nous a fait confiance, nous avons ajouté à nos activités l’entretien des espaces verts. En 2016, nous avons obtenu l’agrément « Entreprise Adaptée », c’est-à-dire une structure de droit commun adaptée au handicap. Sa mission est de faire monter en compétences les personnes en situation de handicap pour qu’elles accèdent à un emploi en milieu ordinaire. Nous employons aujourd’hui 11 salariés au total, dont 7 en situation de handicap.
Parmi les salariés en situation de handicap, pouvez-vous nous parler d’Andréa qui a évolué vers un poste de manager ?
C’est moi qui ai eu l’opportunité de recruter Andréa. Je lui ai proposé de monter en compétences et de devenir notre encadrante de proximité. C’est un projet qui a suscité beaucoup d’enthousiasme de sa part, malgré les difficultés que cela représentait pour elle de franchir ce cap. J’ai abordé le sujet avec elle en douceur, en laissant le temps de la réflexion. Je ne voulais pas parler du handicap car je ne suis ni médecin ni travailleur social. J’ai peu à peu abordé le handicap dans notre quotidien, non pas pour faire parler les personnes de leur problématique, mais pour en tenir compte différemment.
Vous avez fait appel à AGRICA pour une démarche de prévention adaptée. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Nous avons en effet mis en place l’an dernier avec AGRICA et le partenaire Siel Bleu un dispositif que nous avons baptisé « prévention et professionnalisation par le sport » (3-PLS) : des ateliers de remise en forme et d’échauffement pour prévenir les troubles musculosquelettiques. Le sport, c’est aussi un facteur de cohésion sociale, du temps partagé qui aide à garder un esprit sain dans un corps sain ! Mon objectif, c’est de positionner l’entreprise comme une structure favorable à la santé. Je pense qu’on réussit plutôt bien puisque nous avons un taux d’accident très faible.
Pour Andréa, ces ateliers ont été l’occasion de se découvrir en tant que manager, dans un cadre sécurisé et serein. Comment ça s’est passé ?
Andréa a en effet imposé sa posture de manager quand les séances d’activité physique ont été généralisées. Elle est passée en douceur d’un rôle de collègue à celui de manager en s’appuyant sur son autorité naturelle et sa capacité à inspirer du respect.
Aujourd’hui, Andréa est votre bras droit. Comme cela se passe-t-il ?
Je partage tout avec elle : stratégie, partenariat, politique commerciale, communication… Nous ne sommes que deux à l’encadrement et j’ai pris le parti de ne pas « l’épargner » pour qu’elle puisse avoir une compréhension globale de l’entreprise. Au-delà de cette mission autour de la santé, c’était important pour moi de lui faire comprendre tous les rouages de l’entreprise, qui sont les mêmes qu’une entreprise ordinaire, même si l’on doit s’adapter en permanence en fonction du handicap de nos salariés.
« Quand je suis entrée dans l’entreprise, je n’avais aucune connaissance mais au fil des formations, j’ai beaucoup appris. J’ai des facilités : je comprends et je mémorise vite. J’ai eu par ailleurs une formation spécifique pour devenir encadrante de proximité en entreprise adaptée, qui a été le point de départ de ma prise de fonction. »
« On n’avait pas l’habitude de faire des échauffements avant de commencer les chantiers. Je les ai rendus obligatoires en expliquant à mes collègues les risques qu’il y avait à démarrer à froid et pourquoi c’est important de maintenir son corps et son esprit en bonne santé. C’est plus facile pour moi de faire passer le message car j’ai un handicap moi aussi. La parole s’est libérée et on échange souvent autour de cette question du handicap. »
« Certains clients sont étonnés de nous voir faire des échauffements avant de travailler. Je leur explique pourquoi et ça les encourage à faire de même. Car si moi, qui ai un handicap, je peux le faire, ils se disent qu’ils peuvent le faire aussi ! »
« Au début, ça n’a pas été facile mais je trouve que c’est un métier très intéressant. Avoir une activité, ça fait du bien au mental ! Je travaillais avant dans le milieu ordinaire comme femme de ménage pour du service à domicile, sans aucune formation gestes et postures ni protection pour l’utilisation de produits chimiques. Ce sont des choses dont il m’arrive de parler avec mes collègues. »